UNE FEMME CROQUE-MORT ET OFFICIANTE
Une femme croque-mort et officiante indépendante est-elle prise au sérieux ? Comment se définit-elle ? De quoi a-t-elle peur ? Qu’est-ce qui l’anime ?
Laurence Loutre-Barbier
Aujourd’hui, les arts funéraires se renouvellent, se réinventent, au gré des évolutions des mentalités, de la nouvelle émergence, de la dimension écologique. Autant de mutations qui offrent à la profession un vaste champ de doutes et de réflexions.
Sur ce chemin-là, je me retrouve parmi des femmes et des hommes d’action, de réflexion, de parole qui s’engagent à leur manière dans l’accompagnement post mortem. Ces thanatologues iconoclastes peuvent-elles et peuvent-ils trouver des espaces en dehors de la compétition et du marché des pompes funèbres où réaliser leurs rêves de partage ? Avec Noir Clair, je me plie pour avoir une place dans un monde qui n’a pas été prévu pour un tel fonctionnement et je m’interroge sur ma singularité et ma légitimité, convaincue toutefois que le moment du « désensommeillement » est arrivé.
Les moments d’échange avec les familles me plongent dans un mouvement, questionnant ma capacité à écouter, à faire, à vivre, à être et inaugurant à chaque fois un cycle introspectif, nécessaire et constructif qui m’autorise à me décaler, à explorer ce qui fait sens, souvent avec étonnement du fait de nos diversités. Je n’ai pas de théorie, mon exigence se tient dans mon cœur afin que chaque famille puisse trouver à incarner des gestes et des paroles, à générer des espaces de silence, de réconfort et d’une forme de poésie qui favorise l’apaisement de cette douleur qui met de travers. La parole offre un contact très vaste avec le monde. Il y a des mots qui sauvent la vie, relient au sensible, aux autres vivants, des mots qui permettent de traverser des ponts dans le brouillard, des mots qui opèrent comme des sentinelles. Ceux-là sont guidés par la sincérité.
Accompagner un défunt et sa famille, c’est s’aventurer dans un parcours qui touche au ciel, au mystère d’être au monde et de ne plus l’être, aux avant-postes du mythe radical. On ne peut y aller seul-e, il faut un-e officiant-e en qui chacun peut se reconnaître pour revisiter ce qui s’est passé.
5 ANS
NOIR CLAIR, CETTE ÉTRANGE PETITE MAISON DE POMPES FUNÈBRES qui existe depuis cinq années est un lieu d’accompagnement des vivants et des morts sans aucun a priori. On y conjugue bon sens et délicatesse et on subit chaque fois cette oscillation entre comprendre et ne pas comprendre, entre être et n’être plus, le savoir et l’ignorer. On écoute, on parle, on fait. On sait que si un problème s’immisce dans le moment sacré, la répercussion est elle aussi, sacrée. Chaque famille est unique et chacune a un proche mort, proche en cela semblable pourtant terriblement différent. Chaque famille traverse une histoire de vie exaspére et douloureuse. Unique. On est là. On cherche l’éternité. La mort est parfois une délinquance. On s’engage alors dans une extrême présence. On peut être une lumière ou une ombre, si on abîme le mystère, si on écorne le sacré, c’est la part des ténèbres qui gagne. Quoiqu’il en soit, les transports doivent être parfaits, la toilette, l’habillage du défunt doivent être doux. La cérémonie doit être hors norme, je dois être à la hauteur, la hauteur de disparaître. J’assiste à chaque fois ceux avec qui ma relation s’achèvera au moment où me parviendra la sensation qu’ils sont retournés à la vie. Sans rien à saisir, à contenir, avec quoi interagir. C’est mon rôle, mon art de vivre depuis ces cinq dernières années. Je n’en avais pas espéré tant.
Laurence Loutre-Barbier
LA MORT À L’HEURE DE L’ANTHROPOCÈNE
tribune ouverte à Laurence Loutre-Barbier
COMPOST HUMAIN, HUMUSATION… DU NOUVEAU OUTRE-ATLANTIQUE !
L’état de Washington depuis ce mois de janvier 2021 a légalisé le « compostage humain » : compost humain, recomposition, humusation, quel qu’en soit le nom et la technique employée, c’est là-bas, désormais, légal et pratiqué.
La proposition d’Herland Forest, Natural Burial Cemetery, scientifiquement et écologiquement validée est une alternative à la crémation et à l’inhumation convaincante pour qui souhaite retourner à la terre, c’est-à-dire opter pour une métamorphose post-mortem la plus naturelle qui soit.
Herland Forest propose de placer le corps du défunt (non pas directement sur la terre) mais sur un lit de copeaux de bois dans une sorte de berceau, le NOR Cradle qui peut rouler d’avant en arrière pendant le processus de réduction.
Pour équilibrer le rapport carbone-azote et ajouter à l’action des bactéries naturellement présentes dans le système digestif, est ajouté au bois un mélange de bactéries, protozoaires et champignons. Le berceau après identification du défunt par les autorités compétentes est boulonné : aucune erreur ne devra être commise à ce propos, le processus étant irréversible. Le berceau isolé a été jugé nécessaire d’abord pour le maintien de la bonne température interne produite par l’action bactérienne et nécessaire à la métamorphose. En effet une exigence-clé pour la réduction organique naturelle est que les restes atteignent une température d’au moins 131°F soit 60°C et que se maintienne cette température pendant au moins trois jours. Des panneaux solaires complètent le dispositif pour maintenir la température dans le cas où elle deviendrait insuffisante. Les organismes aérobies réducteurs qui travaillent ont besoin d’un approvisionnement continu en oxygène : à ce stade, il s’agira en ajoutant de l’oxygène de maintenir la température entre 62 et 68 °C (135 et 145°F) grâce au culbutage du berceau qui aide à disperser l’oxygène dans l’enceinte. Le processus en hiver sera un peu plus long qu’à la saison chaude.
Les substances non naturelles contenues dans les corps (plombages ou résines dentaires, vis, plaque et pacemakers) sont tamisées quand l’essentiel de la décomposition a eu lieu.
Les os sont émiettés pour les libérer du phosphore qu’ils contiennent.
Au terme du processus, les familles récupèrent un compost parfaitement utilisable qu’elles utilisent ou reversent à Herland Forest pour aider à la croissance de nouveaux arbres dans le cimetière.
Cette méthode présente un caractère fonctionnel et artisanal qui séduit aussi par ce qu’elle comprend de pragmatique et de sécurisant d’un point de vue écologique.
À l’heure actuelle, une seule unité de compost humain a été produite par l’entreprise funéraire Herland Forest qui ne sait pas encore comment les gens vont accueillir leur proposition. Cependant ils ont bel espoir depuis le battage médiatique autour de Recompose qui a déjà humusé 8 corps et ont 420 membres ayant payé par avance leurs obsèques selon leur système de compostage humain.
Recompose fait son travail dans un entrepôt chauffé quand Herland Forest propose un service dans une forêt, en extérieur. Le processus étant essentiellement biologique, la réduction se fera plus rapidement en été et plus lentement en hiver, au rythme de la nature, plutôt qu’à celui d’un calendrier commercial. C’est l’une des raisons pour lesquelles Herland Forest s’engage à conserver le compost jusqu’à un an sans frais supplémentaires. Personne ne veut que quatre fûts de compost de 200 litres soient livrés chez soi en hiver.
Il faut aussi préciser que Recompose est une société à but lucratif qui a levé près de 7 millions de dollars pour ses investissements et qui a besoin de rentabilité quand Herland Forest est une organisation à but non lucratif qui possède ses propres terres, n’a pas d’investisseurs à payer et n’a que la nature à laquelle répondre. Ils n’ont donc pas nécessité à accélérer le processus.
Plus d’informations : Herland Forest